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Le continent

(le monde de Tonton Raoul)

Mon chef d'oeuvre de 2011 (un extrait pour te faire saliver)

     Ce qu’il faut savoir sur Luxia à ce stade tient en peu de choses. Elle est arrivée en France avec ses parents quand elle avait une dizaine d’années. Au début ils ont vécu à Marseille, puis son père est reparti en Italie. Sa mère a rencontré un homme de vingt ans de plus qu’elle, un retraité d’EDF avec qui elle vit toujours. Luxia a grandi à Tende, une toute petite bourgade coincée dans un fond de vallée. Elle a grandi seule, avec sa mère et son beau-père, cet homme âgé qu’elle aime beaucoup et qui a su si bien remplacer son père. Lui, elle ne l’a pas vu plus de trois fois en quinze ans, elle s’en moque bien, c’est devenu un homme triste et amer. Elle a grandi seule, sans beaucoup d’autres adolescents autour d’elle. A peine son bac en poche, elle a quitté Tende pour Paris où elle a intégré la prestigieuse Ecole Nationale des Beaux Arts. Elle a profité des échanges européens pour passer quelques mois à Otrante, à l’Accademia di Belle Arti. Sa mère a bien essayé de l’en dissuader, elle a tenté de la convaincre de choisir plutôt Munich ou Londres. Mais en vain. La jeune fille a voulu aller à Otrante, elle a voulu retourner aux sources de l’histoire familiale, cette histoire qu’elle ne connait pas, cette famille qu’elle ne voit jamais. Elle a passé un an là-bas, seule, un an pendant lequel elle s’est surtout beaucoup ennuyée. Une fois diplômée, elle a emménagé à Nice. Elle a trouvé des petits boulots pour vivre, comme caissière, comme serveuse, comme shampouineuse, puis elle a commencé à gagner un peu d’argent avec ses dessins. Elle a reçu ses premières commandes pour des illustrations, elle a vendu quelques toiles à des touristes. Tout a commencé comme ça. Maintenant, Luxia a vingt-six ans, elle vit à peu près bien de son travail et elle en ressent une immense fierté. Consciente d’être privilégiée, elle sait aussi que tout peut s’arrêter du jour au lendemain : en art plus qu’ailleurs, rien n’est jamais acquis.
     Elle habite un joli trois pièces au dernier étage d’un immeuble un peu vieillot du Vieux Nice. Si la cage d’escalier gagnerait à recevoir un coup de peinture, son appartement est cosy, lumineux, bien agencé. Elle l’a décoré avec les moyens du bord, mais avec goût. Elle a arpenté les brocantes et les vides-greniers, elle a fouillé l’arrière-boutique de pas mal d’antiquaires, elle a "emprunté" de multiples objets dans le barnum qu’a toujours été la maison familiale de Tende. Elle a aménagé la pièce du fond en atelier, c’est là qu’elle travaille, dans un joyeux désordre. Des chevalets, des toiles, des pots de peinture. Des boîtes ouvertes jonchent le sol, emplis de pinceaux, de couleurs, de raclettes, de chiffons, de crayons, de toute une multitude de choses dont Luxia ne sait même plus la présence ! Et puis il y a aussi l’ordinateur, la palette graphique, des imprimantes sophistiquées. Elle s’est lourdement endetté pour acquérir tout ce matériel qui lui permet aussi de travailler avec des magazines reconnus – et rémunérateurs.
     Ce jour-là, après avoir traversé le Cours Saleya, Luxia ne rentre pas tout de suite chez elle. Elle s’arrête à l’épicerie du coin pour prendre quelques provisions. Le commerce a été repris par deux jeunes quelques années plus tôt, deux frères. Le cadet, Matthieu, accueille la jeune fille. Elle lui plaît bien mais il n’a jamais rien osé entreprendre. Son aîné l’en a d’ailleurs dissuadé : ce ne serait pas très professionnel. Il sourit à la jeune femme, l’aide à emballer ses victuailles, ajoute une tomate dans le sachet en papier après l’avoir pesé. Luxia répond aimablement à ses questions, ses commentaires sur le temps, ses travaux du moment. Elle lui a promis un dessin un jour, elle n’a pas oublié, elle promet à nouveau de s’en occuper bientôt. Elle repart avec son sac de courses, en plus de son sac de voyage pendu à son épaule et du carton à dessins. C’est à ce moment précis qu’elle voit l’homme sur le trottoir d’en face, qui la regarde. Il est un peu plus de quatorze heures trente, ce jeudi de mai, quand sa vie prend un tour inattendu : car cet homme traverse la ruelle et se plante devant elle. Il se présente, il s’appelle Miramont et il lui demande depuis quand elle possède son carton à dessins.


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B
<br /> <br /> si ça c'est pas du marketing....<br /> <br /> <br /> <br />
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