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Le continent

(le monde de Tonton Raoul)

Entre parenthèses

Ouvrez la parenthèse.

Jeudi 8 mai, 17h15.
Premiers moments. Premiers pas sur la plage. Première remontée - puis redescente - de la rue principale, la seule rue, la rue piétonne et commerçante, la Rue de la Plage. Première terrasse. Première gorgée de bière.
Les vacances commencent.
Le soleil joue avec nos nerfs et, bien que le ciel soit bleu, on ne sait pas s'il faut ou pas chausser ses lunettes noires. Un petit vent - qui semble venir du continent - rend le fond de l'air un peu frais. J'enfile un pull, un pull blanc, et une vieille Anglaise ne me quitte pas du regard un seul instant de cette manoeuvre. Deux girls se sont installées à quelques mètres. Elles sortent des boutiques, comme l'attestent les sacs qu'elles conservent près d'elles précieusement. Derrière ses lunettes de soleil, la brune me dévisage par instant, sans pour autant cesser son bavardage. Plongé dans mon Moleskine [NDLR : marque déposée, blablabla... même en URSS - Je précise que sans ce carnet, ce récit n'existerait pas], je cultive ma part de mystère. Oh, ça ne m'amuse qu'un temps : je ne suis pas venu pour ça. Je suis venu pour la mer, pour la nature, pour la vigne. Je suis venu pour être en vacances et, pendant cinq jours, jouir de la douceur de vivre.

Vendredi 9 mai, 15h30.
Aujourd'hui, c'est la Fête de l'Europe. Pourtant, dans Sud-Ouest, silence radio. Même la rubrique de dernière page "les autres 9 mai" n'évoque pas le discours de Robert Schuman en 1950 !
Sud-Ouest, je l'ai acheté ce matin avant d'aller le lire en terrasse, accompagné d'un petit crème. Mais là n'est pas l'essentiel. L'essentiel c'est que, aujourd'hui, je suis allé dans deux capitales mondiales. Oui, oui : mondiales !
La première est un des plus hauts lieux de la viticulture au monde, avec pas moins de 5 grands crus classés : c'est Saint-Estèphe. Au milieu des vignes à perte de vue se dresse le village. La vue alentour n'est arrêtée que par les châteaux, dont certains ne sont que de grosses bâtisses ! Mais le joyau, à Saint-Estèphe, outre le vin, c'est son église. Une des seules églises baroques de la région, un vrai régal pour les yeux...
L'autre capitale mondiale du jour, ce fut Montalivet, là où est né le naturisme. Derrière des barrières opaques se dissimulent de gigantesques réserves naturistes. Certains affirment dans leur nom même la vocation de capitale de Montalivet : "Euronat", rien que ça ! Mais rassurez-vous, avec 16° dehors et un petit vent froid, il n'y avait aucun tout-nu en vue !
Me voilà dans un café, avec plusieurs bouquins sur la table, dont le mien (enfin, ce qui en existe déjà !). Tout au fond là-bas, le phare plante un repère sur le bout du monde. Là-bas, au loin. Après la mer...

Vendredi 9 mai, 20h00.
Je suis ici depuis 24 heures. J'ai l'impression d'être arrivé depuis toujours et que je suis là pour toujours. C'est peut-être cela ce que l'on appelle une coupure. De ce fait, mon week-end est déjà une réussite. J'ai aimé ce pays dont j'ai vu toutes les entités géographiques aujourd'hui : la plage, les dunes, les mattes, le vignoble, la forêt...
Je me dis que je pourrais rester là toujours, un éternel vacancier solitaire. Dans les cafés, à la Maison de la Presse, je serais vite repéré comme un habitué. J'ai apporté certaines de mes habitudes : aujourd'hui c'était vendredi et, ce matin, je suis allé valider mon Euromillion et j'ai acheté mon Télé 7 Jours. Comme tous les vendredis. Pourtant, je suis si loin de la maison et de ma ville ! Si loin du bureau et du boulevard ! Ici, il n'y a qu'une rue... Il y a aussi la mer, les plages à l'infini. Et des familles, des familles partout... C'est peut-être cela qui me rend nostalgique. Cette famille à laquelle je pense. Cette famille à laquelle je rêve...
C'est bien : plus ça va, plus je reviens à l'essentiel : la vie.

Samedi 10 mai, 19h30.
Comme d'habitude, je t'écris depuis un bar. Aujourd'hui, ça y est, j'ai pris le rythme des vacances. Dommage : le séjour est maintenant plus proche de sa fin que de son début.
En fait, ce fut une journée de premières : première virée sur le sable, au bord de l'eau, vers les dunes au loin ; premier contact physique avec l'océan (les pieds seulement, faut pas déconner non plus) ; première exposition au soleil, sur une vaste plage presque déserte ; première bavasserie avec la patronne de l'hôtel, qui est pyrénéenne, n'aime pas la mer et râle contre les pollens que le vent apporte par paquets entiers dans son jardin. Première vraie bonne grosse sieste aussi !
J'ai dit que j'avais pris le rythme des vacances. Moralité : il faut 48 heures. Mais c'est quoi, ce "rythme", te dis-tu ? En fait, l'art des vacances à la mer, c'est de savoir ne rien faire et y trouver du plaisir. Et ça, c'est exactement ce que j'ai réussi à faire.
"Mais Raoul, t'inquiètes-tu, au bord de la défaillance : et ton roman ? Si tu sais ne rien faire et aimer ça, cet été, tu n'écriras pas !"
Ne défaille pas, j'y ai pensé aujourd'hui justement. Ne rien faire, c'est bien mais ça ne remplit pas toute la journée ! Ces 48 heures m'ont aussi montré qu'on peut vite s'ennuyer et qu'il y a largement de la place dans une journée de vacances pour tout faire !
Cet été, le programme sera simple : lever à 8h30, feignasserie, café et tout ça pendant une heure. A 9h30, écriture jusqu'à 11h30, voire midi selon l'inspiration. Là, sortie en ville, achat de Ouest-France et lecture du journal devant un demi en terrasse (en salle s'il pleut ou si ça caille). Ensuite, retour casa pour déjeuner. Léger, salades et crudités, la bonne chair c'est le soir. Là, au choix : tour en ville ou sieste. Puis plage avec bouquins à déstocker.
Dans l'idée, deuxième séance d'écriture entre 18 et 20 heures. Après, retour en ville pour un apéro en terrasse avant le dîner à la maison. Le soir ça dépend : promenade sur le front de mer, ou lecture sur le balcon du studio. Et puis après...
A ce rythme-là, si tout va bien, je peux sortir un chapitre par jour. 15 jours, ça devrait suffire. En rentrant, je n'aurai plus que les relectures, ajustements, retouches et tout ça à faire ! Yes et re-yes !
Tu vois : j'avais raison de venir ici...

Dimanche 11 mai, 18h30.
Voilà, "Serv >>4<<" (c'est son nom sur le ticket de caisse) vient de m'apporter ma mousse, je peux commencer à t'écrire. C'est le dernier soir qui commence, ç'aura été également la seule journée estivale du séjour. La plage aura constitué l'essentiel du programme et, le théorème du rôtissoir ne loupant jamais, je me trouve tout beau bronzé !
Il y a un peu partout des visages que je reconnais, des gens dont je sais un petit quelque chose, ou parfois rien. Des gens croisés hier, ce matin, avant-hier, ici, ailleurs, dans la rue, sur la plage, à la terrasse d'un café ! Un petit goût d'histoire commune, je ne suis pas seulement en transit ici : je m'y suis forgé des repères. Mais le mieux c'est que certains regards depuis ce matin, certains sourires, certains "bonjour !" me montrent que je suis aussi reconnu, c'est quasiment un certificat d'ancienneté qui m'est donné !
Oh, je ne suis pas naïf : je sais bien que, demain, je pars et que, dès après-demain, tout le monde ici m'aura complètement oublié...
C'est le jeu des vacances : les touristes ne sont que des passagers en transit. Ils arrivent, ils repartent. Aussitôt, d'autres prennent leur place et occupent un temps l'espace.
Il faut un point fixe, une attache, pour exister vraiment quelque part.
Mais qui sait, peut-être reviendrai-je ?

Lundi 12 mai, 10h00
Je suis attablé une dernière fois en devanture du Judici, une dernière tasse de café fume devant moi, une dernière fois j'écoute la station se réveiller. Les boutiquiers sortent leurs produits des arrières-salles, lunettes, paréos, tee-shirts, statuettes made in china, etc.
Les vacances s'arrêtent. Brutalement. Demain, la vie reprend ses droits. Demain, d'autres combats commencent et ceux-là sont de ceux que l'on ne peut pas perdre.
Alors, ces cinq jours à Soulac-sur-Mer, seulement une parenthèse ?
Oui, si l'on s'en tient aux faits.
Mais les faits...

Fermez la parenthèse.

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on a l'impression d'y etre...
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