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Le continent

(le monde de Tonton Raoul)

Extrait de...

couv lapeyre   "Il monte à l'étage pour se mettre à son bureau et terminer sa traduction - il a presque dix jours de retard. Mais pendant qu'il essaie de s'appliquer, les yeux fixés sur son écran, l'idée qu'il ne verra peut-être plus Nora revient sans cesse à sa conscience, paralysant ses centres de décision.
   Il hésite sur tous les mots.
   Dans ces conditions, il est en général préférable de ne pas insiter. C'est ce qu'il fait. 
   De deux heures à cinq heures, il est étendu sur le lit, dans la lumière lugubre de l'après-midi - ce doit être la journée la plus longue de l'année -, occupé à fumer et à consulter machinalement son téléphone portable comme un homme qui se meut en apnée au fond d'une tristesse sans commencement ni fin.
   De temps à autre, il se redresse pour aller aux toilettes et en ressort à chaque fois accablé par le rendement de son appareil digestif.
   Une combinaison de gaz et de bactéries, voilà tout ce qu'il restera de nous, se dit-il en ouvrant à nouveau son portable.
  Quelquefois - c'est une variante - il fait :Allô, allô ? comme s'il s'entraînait à répondre au téléphone, puis raccroche.
   Le monde ne répond plus.
   Il a l'impression d'être sous acide.
   A présent qu'il est déshabillé, qu'il a posé ses affaires au pied du lit, Blériot demeure assis torse nu sur les draps.
   D'une main, il tient un verre de bière, et de l'autre se gratte le sternum avec l'air de quelqu'un qui se demande franchement quelle faute, quel manquement, il a bien pu commettre pour mériter la punition d'une telle solitude.
   A force de se gratter, de petites gouttes de sang commencent d'ailleurs à perler sur sa poitrine.
   Ce pourrait être une scène de La Colonie pénitentiaire, mais sans le désert et sans la machine."

Patrick Lapeyre : "La vie est brève et le désir sans fin" - P.O.L. éditeur, 2010 

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